Valoriser une entreprise selon ses actifs

Valoriser une entreprise selon ses actifsIl y a quelques semaines, j’avais évoqué succinctement 3 méthodes pour valoriser une entreprise : la valorisation selon les actifs, selon la capacité bénéficiaire et enfin selon la croissance rentable.

Vous vous demandez peut-être quelle est l’utilité de connaître la valeur réelle une société ? La réponse est très simple. Etant donné qu’une action représente une partie d’une entreprise, déterminer la valeur intrinsèque de cette dernière permet de déduire celle d’une action (en divisant par le nombre d’actions en circulation).

Aujourd’hui, nous allons approfondir la première méthode à savoir la valorisation selon les actifs détenus par une société.

  1. La méthode de calcul
  2. Les ajustements nécessaires
  3. La valeur de liquidation
  4. La valeur de renouvellement
  5. Les limites de la méthode

La méthode de calcul

Cette première méthode de valorisation s’appuie sur la valeur actuelle de entreprise représentée par son patrimoine, c’est à dire sur ce qu’elle possède : les bâtiments, les équipements, les stocks, mais aussi le savoir-faire, la clientèle…

Pour connaître le patrimoine d’une société, il est nécessaire de consulter le dernier bilan comptable publié.

Structure d’un bilan comptable
Actif (emplois)Passif (ressources)
Actif immobiliséCapitaux propres
Actif circulantDettes

Ce document comptable est composé de 2 parties : à gauche, l’actif regroupe les éléments permettant à l’entreprise de conduire son activité tandis qu’à droite, le passif explique comment sont financés les actifs.

Dans ce document, l’actif est toujours égal au passif.

Sachant que nous sommes ici pour valoriser une entreprise en tant qu’actionnaire potentiel, ce qui nous intéresse réellement c’est de connaître ce qui appartient aux actionnaires, c’est à dire les capitaux propres. Ce poste du bilan regroupe l’argent apporté par ces derniers, les réserves ainsi que le résultat courant.

Pour estimer les capitaux propres (appelés également actif net), nous allons partir de l’équation immuable du bilan :

Actif = Passif
Actif = Capitaux propres + Dettes
Actif – Dettes = Capitaux propres

Ainsi, il suffit de sommer tous les actifs puis de déduire les dettes pour connaître l’actif net de la société.

Cependant, pour trouver la valeur réelle de l’entreprise, il va falloir procéder à quelques ajustements au calcul de l’actif net.

Les ajustements nécessaires

Le bilan est dressé selon une multitude de principes comptables qui ne traduisent pas forcément la valeur réelle des actifs et des dettes.

Par exemple, lorsqu’une entreprise achète un terrain, elle ajoute le terrain à son coût d’acquisition au bilan. Or, si le terrain a été acheté il y a 30 ans, ne pensez-vous pas que sa valeur réelle sera bien plus importante que sa valeur comptable aujourd’hui obsolète ?

Ainsi, il va être nécessaire de retraiter chaque poste du bilan afin d’être le plus proche de la réalité possible. Généralement, plus le poste à traiter est liquide (facilement transformable en argent), plus l’ajustement sera facile et peu éloigné de sa valeur comptable. L’inverse est également vrai.

Notez bien que ces ajustements vont dépendre des perspectives du secteur d’activité de l’entreprise.

Ainsi, si l’entreprise évolue dans un secteur en déclin, alors l’entreprise sera évaluée à sa valeur de liquidation. Sinon, si elle évolue dans un secteur pérenne, alors la valeur intrinsèque de l’entreprise équivaudra au coût de renouvellement des actifs.

Enfin, il faudra également intégrer les possibles actifs et dettes situés hors bilan. Grâce à une lecture approfondie des rapports de l’entreprise, il est possible de détecter ces éléments cachés dans la valorisation de l’entreprise.

La valeur de liquidation

Lorsqu’une entreprise est dans un secteur sinistré ou en déclin, il est généralement conseillé d’ajuster les actifs du bilan comme si l’entreprise allait être liquidée : arrêt de l’activité, vente des actifs et remboursements des dettes.

Ici, seuls les actifs vont être réajustés selon leur valeur liquidative, les dettes seront valorisées selon la valeur comptable.

D’une manière générale, plus l’actif est spécialisé et plus la décote sur la valeur comptable sera importante. Par exemple, un stock de t-shirts vierge pourrait être vendu à 50% de sa valeur comptable alors qu’un stock de t-shirts déjà imprimés subirait une décote plus importante (moins de clients potentiels).

Le tableau suivant indique les ajustements fréquemment utilisés dans ce cas :

ActifAjustement de la valeur comptable
Actif immobilisé
Immobilisations corporelles
(terrains, bâtiments, équipements)
La décote de chaque immobilisation corporelle dépend de son degré de spécificité à l’entreprise ou à un secteur.
Par exemple, les équipements liés à l’activité de l’entreprise subiront une décote importante (45% de la valeur comptable voire moins).
La décote concernant les terrains et bâtiments demeurera généralement moindre : dans certains cas, ils peuvent même valoir plus que leur valeur comptable en fonction de leur date d’achat, de leur niveau d’amortissement et de leur localisation.
A analyser au cas par cas.
Immobilisations incorporelles
(goodwill, brevets & logiciels)
0% sauf peut être pour certains brevets recherchés…
Participations dans les entreprisesA analyser au cas par cas.
Actif circulant
Stocks50% voire moins si stock spécialisé à l’entreprise.
Ne pas oublier de retirer les dépréciations de stocks si elles existent (visibles dans le compte de résultat).
Créances85% de la valeur comptable (15% non recouvertes).
Ne pas oublier de retirer les dépréciations de créances si elles existent (visibles dans le compte de résultat)
Placements à court terme100% de la valeur comptable
Trésorerie100% de la valeur comptable

Ces pourcentages sont donnés à titre indicatif, libre à vous de les adapter selon la situation.

Une fois les actifs ajustés, il suffit d’en effectuer la somme puis d’en déduire la totalité des dettes (sans ajustement) pour obtenir la valeur liquidative d’une entreprise.

La valeur de renouvellement

Lorsqu’une entreprise évolue dans un secteur pérenne, il est fort probable que des nouveaux concurrents soient attirés par ce marché afin de grignoter une part du gâteau. Ainsi, il est possible d’évaluer une entreprise du secteur en imaginant le coût qu’un concurrent payerait aujourd’hui pour entrer sur le marché afin d’acquérir les mêmes actifs : on appelle ce coût la valeur de renouvellement des actifs.

Pour calculer cette valeur, il va être nécessaire de retravailler les actifs mais aussi les dettes du bilan.

Ajustement des actifs

ActifAjustement de la valeur comptable
Actif immobilisé
TerrainsActualiser le coût d’achat : combien payerait-on aujourd’hui pour acheter la même chose ?
ConstructionsActualiser le coût d’achat
EquipementsLes équipements évoluent vite. Une entreprise nouvelle aura sans doute accès à un matériel plus performant à un prix égal voire moindre. Une décote de la valeur comptable peut s’avérer judicieuse. A analyser au cas par cas.
Brevets et logicielsActualiser le coût d’achat
Goodwill0% de la valeur comptable
Représentent les écarts d’acquisition des entreprises : différence entre le prix d’achat de la société et sa valeur comptable.
Actif circulant
StocksAjuster selon le stock moyen des 5 dernières années pour avoir un stock représentatif
Etudier également la méthode de valorisation des stocks (FIFO, LIFO)
CréancesAjouter les provisions à la valeur comptable des créances client puisqu’une nouvelle entreprise aura potentiellement plus de créances impayées.
Cette donnée apparaît dans le dernier compte de résultat.
Placements à court terme100% de la valeur comptable
Trésorerie100% de la valeur comptable

Vous aurez remarqué que les actifs circulants (fortement liquides) ne nécessitent pas d’importants ajustements par rapport à leurs valeurs comptables.

Les ajustements deviennent délicats mais néanmoins importants pour les actifs immobilisés : leurs valeurs comptables peut être très éloignées de leurs valeurs réelles et nécessitent une certaine expertise afin de les actualiser.

Ensuite, 2 actifs cachés sont fréquemment comptabilisés lors de cette évaluation.

Le premier actif caché représente les années de recherche et développement (R&D) que l’entreprise concurrente va devoir investir pour arriver au même niveau que ses concurrents déjà implantés sur le marché.

Le second actif caché représente le développement et la fidélisation de la clientèle par l’intermédiaire des dépenses « marketing ».

Pour les valoriser, il est possible d’ajouter entre 1 et 3 ans de dépenses R&D et/ou marketing comme actifs cachés à notre bilan.

Ajustement des dettes

Concernant les dettes financières, il est recommandé de les actualiser selon leur valeur de marché actuelle.

Par exemple lorsqu’une entreprise a contracté des dettes financières il y a 10 ans, il est fort probable qu’elle paye des intérêts bien supérieurs à ceux demandés aujourd’hui pour un nouvel arrivant puisque nous sommes dans une période où les taux de crédit sont à un plus bas historique.

Une fois que les dettes sont actualisées, il ne reste plus qu’à calculer l’actif net ajusté (actif ajusté – dettes actualisées) pour obtenir la valeur de renouvellement des actifs.

Les limites de la méthode

L’évaluation d’une entreprise selon ses actifs est une méthode conservatrice pour estimer la valeur réelle d’une entreprise. On peut même dire qu’elle permet de déterminer sa valeur minimale.

Cette méthode convient parfaitement aux entreprises ne possédant pas d’avantages compétitifs durables, c’est à dire 95% des sociétés existantes.

Dans le cas contraire, les avantages durables qu’une société possède vis-à-vis de ses concurrents représente une certaine valeur que l’on estimera grâce à une seconde méthode bien connue des investisseurs : la valeur de la capacité bénéficiaire.

Enfin, sachez que pour comparer la valeur obtenue grâce à cette valorisation au cours de bourse de la société, il suffit de diviser la valeur par le nombre d’actions émises par l’entreprise.

Si vous souhaitez approfondir cette méthode de valorisation, le livre Investir dans la valeur sera un parfait complément à cet article.

A bientôt pour des exercices pratiques (valeur de liquidationvaleur de renouvellement) de valorisation d’entreprises !

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10 Commentaires

  1. Bonjour,

    excellent article.

    Je me permets quelques remarques concernant la valeur de liquidation :
    – dans les immobilisations corporelles, il faut distinguer, ce qui est de l’immobilier (terrain et bâtiment) et ce qui est de l’installation technique. Le premier ne suivra pas la même décote (voir un une surcote en fonction des amortissements déjà établis). D’autre part, s’agit-il d’une usine perdue au fin fond de la brousse ou bien de magasins en centre villes ?
    – Concernant les créances et les stocks il convient de vérifier si le management a déjà acté des dépréciations, si c’est déjà le cas, d’une part il s’agit d’un élément plutôt positif pour le management, d’autre part, il faudra ajuster notre propre évaluation en fonction de ces chiffres.
    – un autre actif long-terme qui peut valoir le coup d’étudier concerne les participations dans d’autres entreprises (cotées ou non) qui peuvent valoir beaucoup plus que ce qu’il y a d’inscrit au bilan. Je renvoie vers « Investir dans la valeur » et l’exemple de Hudson général sur ce point.

    Bonne continuation

    • Bonjour Etienne,

      Merci pour ces précisions, tu as complètement raison sur ces points.
      J’ai trop voulu synthétiser et j’en ai oublié un bout 🙂
      J’ai rajouté tes compléments dans l’article.

      Au plaisir de te lire,
      Phil

  2. yoyo @ forex scalping

    bonjour,
    tout ça à l’air assez subjectif et je pense que l’estimation de la valeur d’une entreprise peut varier grandement en fonction du point de vu de l’individu qui l’a fait . je pense q’une analyse fondamentale bien effectuée peut amener à faire de gros bénéfices sur le long terme

    • Bonjour Yoyo,

      L’évaluation fondamentale d’une entreprise est nécessairement subjective sinon il serait possible de la calculer via des formules mathématiques toutes faites. De ce fait, investir serait tout de suite beaucoup plus ennuyeux…

      Je pense qu’avec l’expérience, il est possible d’être de moins en moins subjectif et d’arriver à déterminer la valeur intrinsèque d’une entreprise assez précisément.

      Comme dirait quelqu’un, il vaut mieux être dans l’a peu près juste, que dans le complètement faux 😀

      Cordialement,
      Phil

    • C’est bien pour cela que l’analyse value ne peut se concevoir qu’avec une marge de sécurité. Dans ce cas là, si vous vous trompez c’est moins grave.

  3. Bonsoir Phil,

    Cela fait un bout de temps que je n’ai pas fait de commentaires sur ton blog. Bref…

    Dans l’analyse des actifs, je me méfie énormément du goodwill car il est présenté comme un actif surcoté qui reviendra à sa valeur de marché. Ce qui existe dans le cadre d’une OPA (Offre Publique d’Achat). En période de croissance, cela ne pose pas de problème si le goodwill est élevé. Au contraire, en période de crise, l’entreprise acquéreur le traîne comme un boulet.
    Ainsi, je regarde quelle est la proportion du goodwill sur le total des actifs et si elle excède plus d’un tiers alors ma méfiance sera grande. En effet, cela peut amener l’entreprise en question à faire des dépréciation d’actif, surtout en période de crise comme aujourd’hui.

    Cordialement.

    • Bonsoir Sovanna,

      A mon sens, il est très délicat d’évaluer le goodwill.

      Dans les méthodes de valorisation présentées dans l’article, ce poste du bilan est repris pour une valeur nulle, nous évitant ainsi des problèmes de surévaluation.

      Merci pour ta contribution,
      Phil

    • Bonjour,

      Tout à fait d’accord avec Sovanna pour le goodwill : belle atour quand tout va bien, béton coulé aux pieds quand tout va mal. De même, avec ton tableau d’ajustement sur la valeur de liquidation ; 0% peut paraître craintif mais je ne le pense pas (une mauvaise expérience m’a aidé à le comprendre, en toute modestie).

      Pour certaines évaluation, je le soustrait tout simplement de l’actif, un ajustement par le vide pour la valeur et le rapport à l’endettement. Ce qui me donne une marge de sécurité.

      Permettez une touche pas très sérieuse, qui compte avec les évaluations : si un projet me plait, il m’arrive de prendre parfois un peu (pas trop tout de même) de risque… Inversement, un « bonne affaire », je peux la laissé passer. Personnellement, je n’aurai jamais pris Peugeot, même quand elle est passé, me semble-t-il, sous la valeur de ses stocks. Au-delà de l’apparente légèreté de rajouter ce paragraphe, je crois qu’il est bon d’avoir conscience des points précis ou l’on risque de laisser du rationnels et des calculs sur le « bas-côté ». Ce sont des éléments qu’il faut connaître pour justement les rationaliser ; et qui rentrent dans les raisons fondamentales de son intérêt pour les marchés. J’avoue avoir mon infinitésimal part dans l’irrationalité parfois constaté d’un marché.

      Merci pour tes articles intéressants, instructifs, clairs et abordables.

      Gilles

      • Bonjour Gilles,

        Concernant la valorisation du goodwill, 0 est une valeur très conservatrice à utiliser lorsque l’on ne se sent pas capable de l’estimer finement. A mon sens, ça évite bien des ennuis mais on passe sans doute à côté de belles opportunités.

        Concernant la notion de risque lors d’un investissement, pour moi il n’est jamais nul, même après avoir effectué 10 000 calculs et envisagé un grand nombre de scénarios. Il faut essayer de le réduire au minimum afin de vivre avec convenablement.

        Après, quoi qu’on en dise lors d’une évaluation, l’aspect « affectif » entre forcément en jeu. Il faut néanmoins veiller à ce qu’il ne nous aveugle pas complètement.
        Bien sûr que dans mes choix d’actions comme Peugeot ou Nokia, il y a un peu d’affectif.

        D’ailleurs, j’aime bien le conseil de Buffett sur ce point :

        N’achetez que ce que vous seriez parfaitement heureux de conserver si le marché fermait pendant 10 ans.

        Acheter des actions c’est avant tout devenir actionnaire, alors autant être heureux de l’être, à un bon prix bien entendu 🙂

        Cordialement,
        Phil

      • Bonjour,

        On est totalement sur la même longueur d’onde sur la prise de risque, et la conscience de sa subjectivité qu’il faut intégrer. Le conseil du Mr. Buffet est bon. C’est rationnellement un non-sens que d’être durablement propriétaire de ce qu’on n’aime pas. J’ose : on peut avoir une satisfaction ayant des similitudes entre la tenue de son portefeuille et celle de se créer sa cave (d’ailleurs, en retraite je compte bien que le premier m’aidera à entretenir la seconde).

        Pour le Goodwill, je le trouve trop dangereux, éphémère dans la contrainte qu’il peut rapidement devenir. Une entreprise qui a un Goodwill très important est pour ma part délaissée : risque comptable important. Tans pis pour une éventuelle opportunité dans ce cas.

        Bonne journée
        Gilles

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